Par Reporters sans frontières (RSF) et le collectif « Informer n’est pas un délit »
Le chômage ? La dette publique ? La santé ? L’environnement ? L’école ? La corruption ? L’évasion fiscale ? L’Europe ? La guerre en Syrie ? Aucun de ces sujets, que la conversation publique française saisit avec plus ou moins d’intensité à la faveur de l’élection présidentielle, n’aurait de sens sans une information digne de confiance, c’est-à-dire sans une information libre et indépendante.
Problème : en 2017, la liberté d’informer, sans laquelle les démocraties ne sont que des promesses aveugles, gît une fois encore dans l’angle mort des urgences de la plupart des candidats. Cette liberté n’est pourtant pas le privilège d’une corporation, mais elle est au fondement du droit des sociétés à savoir. En un mot, c’est de vous qu’il est question. Vous qui lisez ce texte. Vous qui êtes appelés les 23 avril et 7 mai prochains à voter — ou pas. Vous qui, de gauche, de droite, du centre, d’ailleurs ou de nulle part, êtes au moment de la convocation aux urnes des citoyens dotés de convictions (ou pas), qui doivent dans tous les cas être instruits par des faits.
La liberté d’opinion et la liberté d’informer sont des notions distinctes. La première est la liberté donnée à chacun, donc à n’importe qui dans une démocratie, de pouvoir donner sans risque son point de vue, à condition, cela va sans dire, que celui-ci n’enfreigne pas quelques lois élémentaires sur la haine de l’autre. La liberté d’informer n’est pas plus importante mais elle est tout aussi vitale. Elle est l’audace d’un pays qui, par ses lois et son écosystème institutionnel, politique et culturel, laisse prospérer en son sein les agents d’intranquillité que sont les journalistes. Ces emmerdeurs qui portent à la connaissance du plus grand nombre ce qu’on ne se savait pas avant de le lire, l’écouter ou le voir.
L’information est un contre-pouvoir. Voter sans savoir ne sert à rien ; cela est connu depuis des lustres. Ecoutons le député Victor Hugo prévenir ses concitoyens à la tribune de l’Assemblée constituante, en 1848 : « Le principe de la liberté de la presse n’est pas moins essentiel, n’est pas moins sacré que le principe du suffrage universel. Ce sont les deux côtés du même fait. Ces deux principes s’appellent et se complètent réciproquement. La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l’une, c’est attenter à l’autre. ».
Près de 170 ans plus tard, la cote d’alerte est de nouveau atteinte et, au thermomètre des démocraties, il y a désormais de quoi s’inquiéter. A l’heure de la “post-vérité”, qui veut que ce ne soient plus les faits qui font les opinions mais les opinions qui fabriquent du faux ; à l’heure où les attaques contre le journalisme sont devenues de tristes investissements électoraux chez de nombreux responsables politiques ; à l’heure où la concentration des médias a atteint en France un niveau historique, bref, à l’heure qu’il est, il fait sombre. Nous ne pouvons nous y résoudre.
Que l’immense majorité de la production d’information en France (hors service public) soit aujourd’hui entre les mains de huit milliardaires financiers ou capitaines d’industrie dont le cœur d’activité est de vendre des armes, de la téléphonie, du BTP ou faire la banque, n’est pas une bonne nouvelle — a fortiori quand le chiffre d’affaires de certains dépend des bonnes relations avec les gouvernements en place ou, parfois, avec des dictatures étrangères. Après guerre, la presse française, qui avait sombré pour partie dans la collaboration et la corruption, s’était reconstruite sur les ambitions du Conseil national de la Résistance (CNR) qui invitait à « rétablir la liberté de la presse, son honneur, et son indépendance vis-à-vis des puissances financières ». Ce temps est révolu. Il faut en prendre acte et agir.
Que le secret des sources, c’est-à-dire la protection des citoyens quand ils décident d’alerter la presse sur des informations d’intérêt public, soit si peu protégé par la loi n’est pas une bonne nouvelle.
Que l’accès aux documents administratifs, qui appartiennent aux citoyens parce que leur contenu relève de l’intérêt général, soit à ce point inopérant en France, contrairement à ce qui existe dans d’autres pays (en Angleterre ou aux Etats-Unis), n’est pas une bonne nouvelle.
Que le journaliste soit régulièrement désigné par de hautes personnalités comme l’ennemi public n°1 n’est pas plus une bonne nouvelle. Non pas que la critique des médias ne soit pas aussi importante que le journalisme lui-même, mais elle doit reposer sur des faits et non pas relever des tactiques populistes qui salissent le débat public.
Ce n’est pas une bonne nouvelle, certes pour les journalistes, mais surtout pour vous, vous et vous. D’où qu’elle provienne, d’un média privé ou du service public, une information, quand elle relève de l’intérêt général et qu’elle est vérifiée, est un bien public. Elle appartient à tous. Comme une rue. Seulement voilà, la chaussée se rétrécit. Résultat : l’information est menacée d’uniformisation massive, le pluralisme est attaqué.
Voici pourquoi, ce mercredi 5 avril, le collectif « Informer n’est pas un délit » et Reporters sans frontières (RSF) organisent une journée de mobilisation pour défendre la liberté de l’information en France. A quelques jours du scrutin présidentiel, alors que les violences contre les journalistes et les atteintes à l’indépendance des médias se multiplient dans notre pays, nous demandons au futur président de la République de prendre des engagements fermes pour défendre la liberté de l’information en France.
Nous avons décidé de porter auprès des candidats cinq recommandations concrètes pour protéger la liberté et l’indépendance de l’information :
- Lutter contre la concentration des médias et assurer la transparence de la propriété des médias
- Faire adopter une nouvelle loi sur la protection du secret des sources
- Lutter contre les procédures abusives contre les journalistes
- Créer un délit de trafic d’influence appliqué au champ de l’information
- Faciliter et élargir l’accès aux documents publics pour tous.
En France aussi, la liberté d’informer doit être défendue. C’est l’affaire de tous.