Inacceptables pressions sur France Télévisions

Le collectif Informer n’est pas un délit (INPD) apporte son soutien aux journalistes Yvan Martinet, Olivier Gardette et Mélanie Laporte, auteur.e.s du reportage Gaza : une jeunesse estropiée, diffusé le jeudi 11 octobre 2018 dans l’émission Envoyé Spécial sur France 2. Notre consœur et nos confrères ainsi que la direction du magazine d’information de la chaîne publique française ont été injustement mis en cause par plusieurs institutions ou organisations israéliennes et françaises qui ont tenté sans scrupules de bloquer la diffusion de ce sujet… sans même l’avoir visionné au préalable. Ce n’est en effet qu’à la seule vue de la bande annonce de l’émission diffusée le 10 octobre, que cette grave mise en cause est intervenue :

– En milieu d’après-midi l’Ambassadrice d’Israël en France, Aliza Bin Noun, a posté sur Twitter la lettre qu’elle avait adressée à la Présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, plus tôt dans la journée. L’Ambassadrice y demandait l’annulation pure et simple du sujet qu’elle n’avait donc pas vu. Elle indiquait notamment : « il [le reportage] présente non seulement un point de vue déséquilibré par rapport à la situation à Gaza mais met également Israël en avant d’une façon très négative ». 

– Le même jour, le Consistoire central israélite de France trouvait pertinent de dénoncer dans sa propre lettre à la direction de France Télévisions « le lien existant entre la résurgence de l’antisémitisme en France et la détestation d’Israël alimentée par de tels programmes » tandis que le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) s’inquiétait dans un communiqué des conséquences de ce reportage qui « au vu de sa bande annonce (…) prend un parti-pris anti-israélien ».

Cette liste n’est pas exhaustive. Face à ces pressions choquantes sur la liberté d’informer, le collectif INPD fait siens les mots du communiqué de la Société des Journalistes de France 2 :

« En accusant ainsi a priori et sans fondement nos confrères d’adopter « un point de vue déséquilibré », de présenter une vision « très négative » d’Israël, d’« inciter à la haine d’Israël » et d’« aliment(er) l’antisémitisme » avant même d’avoir visionné le dit reportage, ces institutions se livrent à un procès d’intention inacceptable, et à une tentative d’influer sur les décisions de programmation d’une chaîne publique. Toute critique fondée et argumentée après diffusion et visionnage mérite bien sûr d’être entendue, mais la SDJ de France 2 ne saurait accepter que le professionnalisme et la déontologie des journalistes qu’elle représente soit ainsi mise en cause, a priori, de façon diffamatoire et injustifiée. »

En outre, INPD proteste énergiquement contre les propos de Meyer Habib, député UDI des Français de l’étranger ayant accusé France 2 d’acte de « propagande » et de « préparer le terrain pour de futures violences antisémites, si ce n’est un attentat contre les Juifs de France ».

Ces paroles sont aussi limpides qu’insupportables.

L’ensemble de ces pressions, amalgames et accusations ont-ils donné le feu vert aux plus extrémistes pour déverser leur haine ? Suite à la diffusion du reportage de nombreux messages d’insultes ont déferlé sur les réseaux sociaux à l’encontre des journalistes et de la présentatrice de l’émission, laquelle a même parfois reçu des menaces par courriel comme celle-ci : « [je] viendrai avec des pitts (des pitbulls ndlr). Peutue (« pute » ndlr) je vais te fesser ».

Dans ce climat délétère, le collectif INPD s’interroge :

– Comment le gouvernement d’une grande démocratie comme Israël par la voix de son Ambassadrice a-t-il pu se permettre une tentative de censure à l’encontre d’une chaîne de télévision publique d’un autre État démocratique ? Pourquoi le gouvernement français garant de la liberté de la presse n’a-t-il pas réagi à ces attaques ? Pourquoi le ministère des Affaires étrangères n’a-t-il pas rappelé à l’ordre l’Ambassadrice d’Israël ? Le collectif INPD estime que le gouvernement français doit dénoncer cet interventionnisme. Garder le silence signifierait une approbation par défaut, indéfendable.

Un silence d’autant plus risqué que ce genre d’intervention risque de se répéter, si l’on en croit les déclarations de M. Mercer-Woods, porte-parole de l’Ambassade d’Israël au Monde. Selon lui, ce type de demande serait employé à l’avenir en cas de diffusion de contenus « posant les mêmes problèmes » que ce reportage.

Le collectif INPD demande donc aux autorités françaises de réagir face à la systématisation annoncée de ce type de demande d’annulation de diffusion.

– Comment certaines institutions juives reconnues et respectées en France peuvent-elles laisser entendre qu’un travail journalistique répondant parfaitement à l’éthique de la profession favoriserait l’antisémitisme tout en étant éventuellement complice du terrorisme ? Ces sous-entendus sont inacceptables et irresponsables.

Rappelons ici qu’Envoyé Spécial est un magazine télévisuel de près de 30 ans d’existence qui enquête depuis sa naissance sur tous types de sujets d’actualité partout dans le monde. L’émission a notamment dénoncé dans de multiples reportages l’antisémitisme, la haine des Juifs et de l’État Hébreu ainsi que toutes les formes de racisme et de xénophobie. Concernant Israël et les territoires palestiniens, la rédaction n’a jamais cédé à la moindre complaisance vis-à-vis du Hamas ou de tout autre organisation laïque ou religieuse.

Rappelons enfin que la nature même du journalisme est d’être un contre pouvoir qui doit s’exercer en tout lieu, à commencer par les zones de conflits où les armées opèrent. Comme l’a si bien résumé Amira Hass, la célèbre journaliste israélienne du quotidien Haaretz, qui a vécu pendant plusieurs années dans la bande de Gaza pour y couvrir l’actualité : « Notre travail consiste à surveiller les centres de pouvoir ». Que cela plaise ou non.

Le collectif « Informer n’est pas un délit » rassemble de nombreux journalistes issus de la presse écrite, de la radio, de la télévision et de l’Internet. Il a pour vocation de mener des combats citoyens pour défendre la liberté de l’information.