Concentration des médias : nos propositions pour la liberté de l’information

Les groupes Vivendi et Arnault ont, pendant le confinement, annoncé respectivement des prises de participation dans le groupe Lagardère et dans la holding personnelle d’Arnaud Lagardère. Pour le collectif Informer n’est pas un délit, le rapprochement de ces trois groupes marque une nouvelle étape inquiétante de la concentration des médias en France.

Une poignée d’hommes d’affaires aux intérêts extérieurs à la presse possède l’essentiel des médias privés de notre pays. Notre collectif, qui travaille sur la question depuis l’entrée fracassante du groupe Bolloré dans Canal + en 2015, s’alarme de l’impact d’une telle situation sur la pluralité de l’information.

Chaque année, nous constatons la réduction des espaces consacrés à la liberté d’informer, au questionnement, au contradictoire, à l’enquête, en particulier sur des sujets sensibles et d’intérêt public tels que l’évasion fiscale ou les ventes d’armes.

Le mercredi 27 mai 2019, le collectif a participé à une réunion en visioconférence organisée par le ministère de la Culture, en présence du ministre Franck Riester, de syndicats de journalistes et d’associations. Cette réunion portait sur la situation des journalistes et du journalisme dans le contexte de crise sanitaire. A cette occasion, le collectif a formulé des propositions pour lutter contre la concentration des médias.

La France est en 2020 le pays d’Europe où les médias privés sont le plus concentrés. La situation n’était pas simple avant la crise sanitaire. Elle risque de s’aggraver pendant la crise économique qui annonce, indubitablement, une recomposition du paysage médiatique avec des effets pervers sur la qualité et la pluralité de l’information.

Le rapprochement récent Vivendi-Lagardère-Arnault en est un exemple frappant. Un rapprochement entre Hachette (propriété de Lagardère) et Editis (propriété de Vivendi) représenterait plus de la moitié du chiffre d’affaires de l’édition en France.

Nous croyons à une information libre et indépendante de tous les pouvoirs, qu’ils soient économiques ou politiques. Nous considérons que l’information est un bien commun qui appartient à l’ensemble des citoyens. Elle doit donc être protégée de l’influence des intérêts privés, fussent-ils ceux de propriétaires de médias.

Voici les quatre propositions formulées en ce sens par le collectif lors de cette réunion :

1. Refonte de la loi de septembre 1986

Cette loi est obsolète, illisible et les critères retenus pour éviter la concentration des médias, inefficaces. Son article 41, tout particulièrement, laisse penser que des verrous protègent les citoyens de tout phénomène de concentration. Il n’en n’est rien. La loi aborde la concentration des médias de manière horizontale et certains de ses articles ignorent totalement les réalités d’aujourd’hui : concentration verticale, dépendance des groupes de médias à la commande publique, et bien évidemment, Internet. En bref, cette loi n’est plus adaptée à notre environnement médiatique et ne garantit pas ce pourquoi elle a été rédigée.

2. Transparence de l’actionnariat et des bénéficiaires, propriétaires de médias

Ce point nous semble indispensable pour rétablir la confiance entre le grand public, les journalistes et leurs employeurs. Qui possède réellement le journal « L’Opinion » ? Cette information n’est pas publique. Nous souhaitons que cette information le devienne et que le secteur des médias soit le plus transparent en ce domaine.

3. Création d’un statut juridique pour les rédactions

Si nous ne contestons pas le besoin d’investissements privés dans un secteur comme celui de la presse, nous revendiquons une totale indépendance des journalistes et de leurs rédactions vis-à-vis des actionnaires. Un statut juridique attaché aux rédactions permettrait de graver dans le marbre cette indépendance et de limiter tout interventionnisme des propriétaires et/ou de leurs représentants. Certains médias ont fait le choix d’adopter des chartes très précises qui sont une bonne base pour envisager la mise en place d’une telle mesure.

4. Création d’un délit de trafic d’influence applicable au champ de l’information

L’acte de censure n’est pas défini en droit français. Aucune intervention directe, même avérée ne peut être aujourd’hui poursuivie devant un tribunal. Plusieurs membres du collectif en ont malheureusement fait l’expérience. La création d’un « délit de trafic d’influence » permettrait de dissuader quiconque d’intervenir directement sur les contenus éditoriaux, sans raison justifiée et rendrait opposable toute initiative de ce genre. Cette nouvelle disposition juridique donnerait l’opportunité aux rédactions et aux journalistes de faire valoir leurs droits.

 

La situation exige de nous tous une réflexion profonde et des actes forts. C’est donc le moment d’agir.