Loi “lanceurs d’alerte” : 29 organisations lancent un appel à la société civile

Chaque semaine, de nouveaux scandales apparaissent : Panama papers, Mediator, Dépakine, contaminations et fraudes alimentaires, pollutions environnementales… Derrière ces affaires, il y a des hommes et des femmes qui décident de prendre la parole pour dénoncer des dysfonctionnements et éviter des crises sanitaires, écologiques ou économiques.

Nombre d’entre eux restent anonymes. Ils sont motivés avant tout par leur éthique et leur souci de l’intérêt général. Ils constatent des faits aux conséquences graves pour notre santé, notre environnement, pour le bon fonctionnement de notre démocratie ou pour le respect de notre privée. Et ils décident d’en référer aux autorités compétentes pour y remédier.

Malheureusement, suite à cet engagement fort, leur quotidien devient intolérable et leurs alertes sont encore trop rarement entendues. Lorsqu’ils sont salariés, ils sont licenciés, harcelés, mis au placard. Lorsqu’il s’agit de militants associatifs, de parents d’élèves, de riverains… ils sont dénigrés et font face à des agressions verbales, physiques, ou des poursuites judiciaires abusives. Ils peinent à identifier à qui s’adresser pour que les abus qu’ils dénoncent cessent. Leurs soutiens – journalistes, associations, syndicats – mais aussi leurs proches en paient les frais.

Cette situation doit cesser.

En 2016, la loi Sapin II a tenté de régler, en partie, ce problème. Elle a, par exemple, interdit de licencier ou de rétrograder les lanceurs d’alerte. Mais obtenir ce statut relève encore du parcours du combattant et cette loi comporte de nombreuses lacunes. Elle n’offre, par exemple, aucune garantie que les alertes soient traitées, ce qui est bien souvent la première demande des lanceurs d’alerte.

Nous demandons à présent au gouvernement et aux parlementaires d’aller plus loin et de saisir l’occasion inédite que représente l’impératif de transposition de la directive européenne pour la protection des lanceurs d’alerte.

En 2019, l’Union européenne a, en effet, pris la mesure du problème et adopté une directive qui améliore significativement les droits des lanceurs d’alerte en Europe. Cette directive doit être transposée en droit français avant la fin de l’année 2021. Elle impose aux États un certain nombre d’avancées par rapport au droit actuel, notamment en France. Elle met, par exemple, fin à l’obligation, pour un salarié, d’alerter d’abord au sein de son entreprise – obligation qui l’expose bien souvent aux représailles ou qui fait courir le risque de destruction de preuves.

Mais sur d’autres points, elle laisse aux États le soin de définir eux-mêmes les modalités d’amélioration de leur législation.

Depuis 2019, la Maison des Lanceurs d’Alerte s’est mobilisée, aux côtés de plusieurs dizaines d’autres organisations, pour alimenter le débat public sur ce sujet. Douze propositions concrètes ont été formulées pour compléter les dispositions de la directive. Elles abordent la question d’un fonds de soutien pour accorder des aides d’urgence aux lanceurs d’alerte en difficulté ; la simplification des procédures avec la mise en place d’un guichet unique auquel adresser une alerte et qui s’assure qu’elle soit suivie d’effets ; ou encore le renforcement des sanctions contre les “étouffeurs d’alerte” ou du rôle d’appui des syndicats sur les lieux de travail.

Ces propositions ont été adressées au gouvernement et aux parlementaires par lettre ouverte en 2019 puis en 2020. Des institutions reconnues telles que le Défenseur des droits ou la CNCDH – la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme – ont publié des avis rappelant au gouvernement l’urgence et l’importance du problème.

À l’heure actuelle, nous n’avons aucune certitude que des mesures ambitieuses seront adoptées prochainement pour protéger les lanceurs d’alerte et garantir que leurs alertes soient traitées.

Nous, associations et syndicats mobilisés sur cette question, invitons donc toutes les personnes qui reconnaissent l’enjeu démocratique qu’est la défense des lanceurs d’alerte et de leurs alertes à signer notre appel.

Trop de personnes aujourd’hui sont témoins d’abus et se taisent par peur ou manque de moyens. Par ce silence, ce sont nos droits, nos libertés et notre intégrité qui sont menacés. Les lanceurs d’alerte sont des sentinelles qui construisent un monde souhaitable pour tous. Nous devons leur permettre de parler et nous assurer que cette parole est entendue.

Signez notre appel pour porter la voix des lanceurs d’alerte à l’Assemblée nationale : https://loi.mlalerte.org/je-signe

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Une loi “lanceurs d’alerte” : pour quoi faire ?!

Chaque jour, de nouveaux scandales sanitaires, écologiques, politiques émergent. Derrière eux se trouvent des femmes et des hommes anonymes qui ont le courage d’exposer la vérité au prix, souvent, de sévères représailles. La loi ne les protège pas assez. Il est urgent que cela change ! En présence de lanceurs d’alerte qui témoigneront de leur parcours, plus de 20 organisations, associations et syndicats, présentent leurs propositions pour une loi ambitieuse et nécessaire.

Plus d’infos et inscription sur https://mlalerte.org/lancement

Lettre ouverte à E. Macron sur le statut des lanceurs d’alerte

Monsieur le Président de la République,

La France a adopté en 2016, avec la Loi dite Sapin 2, une législation pionnière en matière de protection pour les lanceurs et lanceuses d’alerte. C’est en s’appuyant sur ses équilibres et ses acquis que nos organisations ont obtenu l’adoption en octobre dernier de la première directive européenne en leur faveur. Cette directive reprend l’essentiel des avancées de la loi française, mais offre également une opportunité de pallier les limites de cette dernière et de l’amender. Elle comporte une « clause de non régression », qui garantit l’objectif démocratique de renforcement des protections des lanceurs d’alerte lors de sa transposition.

Nous avons désormais deux ans maximum pour transposer la directive en droit français. Mobilisés depuis de longues années sur le sujet, nous souhaitons, du fait de l’expertise de nos structures, être partie prenante de la transposition et par conséquent être associés en amont. La transposition d’une directive est en effet un exercice de mise en œuvre politique autant que juridique, et nous tenons à ce que la France soit exemplaire en se dotant d’un des meilleurs standards de protection des lanceurs et lanceuses d’alerte dans les meilleurs délais.

C’est pourquoi nous souhaitons attirer votre attention sur plusieurs points.

En premier lieu et comme la directive le préconise, il convient de préserver les avancées de la Loi Sapin 2 et notamment une définition large du lanceur d’alerte, qui inclut le signalement des violations du droit et les menaces ou préjudices graves pour l’intérêt général. La Loi Sapin 2 a permis de simplifier le mille-feuille juridique complexe et incohérent avec des droits d’alerte variant en fonction du domaine concerné ; nous tenons à conserver le champ matériel global de la Loi Sapin 2, ainsi qu’une législation protégeant tous les lanceurs d’alerte, que leur alerte s’inscrive ou non dans le cadre professionnel.

Le législateur européen a tenu à aller plus loin que la loi française sur plusieurs aspects, et la directive commande de revoir notre droit national sur plusieurs points déterminants. D’abord la mise en place d’une procédure d’alerte à 2 paliers au lieu de 3 en France, permettant aux lanceurs d’alerte de choisir soit le dispositif de leur entreprise/administration soit une autorité externe (autorité judiciaire ou administrative, nationale ou européenne).

Des délais précis sont instaurés pour traiter l’alerte et les possibilités de révélation publique sont élargies en cas de risques de représailles, de destruction de preuves ou de conflits d’intérêts de l’autorité externe.

Les critères pour être reconnu et protégé comme lanceur d’alerte sont clarifiés, avec l’exigence d’être « de bonne foi » et de respecter la procédure d’alerte. Les critères subjectifs créateurs d’insécurité juridique – la nécessité d’être désintéressé et d’avoir une connaissance personnelle des faits révélés – sont écartés. Nos organisations considèrent qu’il s’agit d’une avancée, dès lors que demeure formellement exclue la rémunération des lanceurs d’alerte.

La directive conforte l’exerce plein et entier du droit syndical et notamment le droit de tout travailleur à être défendu et accompagné par un représentant du personnel ou un syndicat dans le cadre de cette procédure d’alerte. Elle y ajoute la possibilité pour le lanceur d’alerte d’être accompagné par un « facilitateur », collègue, élu ou encore organisation syndicale, qui pourra alors bénéficier des mêmes protections que le lanceur d’alerte. Enfin, elle prévoit, outre la réparation intégrale des dommages et l’aménagement de la charge de la preuve, un renforcement de la protection des lanceurs d’alerte avec le droit d’accéder à une assistance juridique indépendante et gratuite et la création d’une nouvelle sanction pour les auteurs de représailles.

Pour faire de la France une référence internationale sur le sujet et achever la rationalisation et l’effectivité de notre législation, nous souhaitons que la transposition de la directive soit aussi l’occasion d’intégrer les préconisations du Conseil de l’Europe[1].
Nous proposons notamment que le statut de lanceur d’alerte soit élargi aux personnes morales, de façon à favoriser le « portage d’alerte » dans le but d’éviter d’exposer des individus fragilisés et isolés. Il nous semble également nécessaire que la définition du facilitateur soit étendue aux ONG dont la mission est l’alerte éthique, de façon que nos organisations et singulièrement la Maison des Lanceurs d’Alerte, puissent conseiller et accompagner les lanceurs d’alerte. Enfin nous préconisons le renforcement des missions et des moyens du Défenseur des droits, la création d’un fonds de soutien (abondé par les amendes) et l’octroi du droit d’asile aux lanceurs d’alerte.

Avec cette directive nous avons la possibilité de montrer une Europe qui protège les droits fondamentaux et garantit les libertés. C’est d’autant plus nécessaire que, comme nous le craignions, la mise en place du secret des affaires se traduit par un recul de l’information citoyenne sur l’activité des entreprises et des institutions, à l’image de l’affaire « implant files », dans laquelle des journalistes du Monde se sont vu refuser l’accès à des documents administratifs ayant trait à la santé publique au motif du secret des affaires. La transposition de cette directive est une opportunité pour construire un État exemplaire, qui lutte activement contre la corruption et toute atteinte à l’intérêt général, en garantissant aux citoyens les droits et moyens de s’informer et d’agir.

Nous veillerons à ce que cette transposition soit rapide et à la hauteur de ces enjeux.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.

[1] Conseil de l’Europe, Résolution 2300 (2019), rapporteur M. Sylvain Waserman

Les signataires

Patrick Appel-Muller, directeur de la rédaction de l’Humanité
Arnaud Apoteker, délégué général de Justice Pesticides
Éric Beynel et Cécile Gondard-Lalanne, porte-paroles de l’union syndicale Solidaires
Sophie Binet et Marie-José Kotlicki, cosecrétaires générales de l’Ugict-CGT
Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente de CCFD Terre Solidaire
Nadège Buquet et Jacques Testart coprésidents de la Maison des Lanceurs d’Alerte
Brigitte de Chateau Thierry, Présidente de la CFTC Cadres
Maxime Combes et Aurélie Trouvé, porte-paroles d’Attac France
Sandra Cossart, directrice de Sherpa
Luc de Rome, président d’Action Aid France
Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France
Malthilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen
Guillaume Duval, président du Collectif éthique sur l’étiquette
Marc André Feffer, président de Transparency International France
Joël Ferbus, secrétaire d’Alerte Phonegate
Bénédicte Fumey, porte-parole de Pacte Civique
Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre France
Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU
François Hommeril, président de la CGC
Informer n’est pas un délit
Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France
Kévin Jean, président des Sciences Citoyennes
Jean-François Julliard, directeur exécutif à Greenpeace France
Nicolas Laarman, délégué général de Pollinis
Elliot Lepers, directeur exécutif ONG ̃ Le mouvement
Laurent Mahieu, secrétaire général de la CFDT Cadres
Jean-Louis Marolleau, secrétaire exécutif du Réseau Foi et Justice Afrique Europe
Patrick Monfort, secrétaire général du SNCS-FSU
Laëtitia Moreau, présidente de la SCAM
Jérôme Morin, secrétaire général de la F3C CFDT
Éric Peres, secrétaire général de FO Cadres
Olivier Petitjean, coordinateur de l’Observatoire des multinationales
Jean-Christophe Picard, président de ANTICOR
Martin Pigeon, Corporate Europe Observatory
Edwy Plenel, directeur de Mediapart
Emmanuel Poilane, président du CRID
Julie Potier, directrice de Bio consom’acteurs
Grégoire Pouget, président de Nothing2Hide
Emmanuel Poupard, premier secrétaire général du SNJ
Lison Rehbinder, coordinatrice de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires
Fabrice Rizzoli, président de Crim’Halt
Laurence Roques, présidente du Syndicat des Avocats de France (SAF)
Sabine Rosset, directrice de BLOOM
Malik Salemkour, président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
Société des journalistes et du personnel de Libération
Société des journalistes des Échos
Société des journalistes de 20 Minutes
Henri Sterdyniak, Les économistes atterrés
Lihame Taoufiqi, vice-présidente SKJ TV5 Monde
Pauline Tetillon, coprésidente de Survie
Jacques Testart, coprésident de la MLA
Antoine Tinel, gérant de la Société civile des journalistes de Sud-Ouest
Christian Vélot, président du Conseil scientifique de CRIIGEN
Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT
Marie Youakim, coprésidente de RITIMO

Procès Luxleaks : M. Hollande, de quel côté êtes-vous ?

Lettre ouverte :

Monsieur le Président de la République,

Mardi 26 avril s’ouvre le procès LuxLeaks. Deux de vos concitoyens sont poursuivis par la justice luxembourgeoise pour avoir informé le monde entier des pratiques fiscales douteuses mises en oeuvre par le Grand Duché et permettant aux entreprises d’échapper à leur impôt, notamment en France. Un sujet qui vous est cher, puisque comme vous le déclariez en 2012, votre adversaire « c’est le monde de la finance ».

Antoine Deltour est lanceur d’alerte. Edouard Perrin est journaliste. Sans eux, pas d’information. Sans leur courage, les dizaines de millions de lecteurs ou téléspectateurs de 80 médias ayant relayé et poursuivi les investigations dans plus de 26 pays via le consortium international des journalistes d’investigation ICIJ, n’auraient pu être informés.

La justice luxembourgeoise leur reproche de ne pas avoir respecté le « secret des affaires ». Ce fameux « secret des affaires » qu’une majorité de parlementaires européens a choisi récemment d’ériger en principe à travers le vote d’une directive qui permettra de poursuivre systématiquement et massivement désormais tous les Antoine Deltour et Edouard Perrin de l’Union européenne.

A moins que la France et d’autres pays, via le Conseil des États membres ne bloquent dans les semaines qui viennent cette directive dangereuse. Mais encore faut-il avoir la volonté de défendre – avec sincérité – la liberté d’informer et le droit de savoir de 500 millions d’Européens.

Il y a deux semaines, le scandale « Panama Papers » s’affichait à la une de 109 publications dans le monde. Comme vous, nous étions choqués par ce vaste système d’optimisation fiscale des plus grandes compagnies qui ne jouent pas le jeu de la solidarité devant l’impôt.

A juste titre, vous affirmiez au lendemain de ces révélations d’une ampleur sans précédent : « Je remercie les lanceurs d’alerte, je remercie la presse qui s’est mobilisée (…) c’est grâce à un lanceur d’alerte que nous avons ces informations (…) ils prennent des risques, ils doivent être protégés ».

Voilà pourquoi nous souhaiterions vous entendre dire la même chose à l’endroit d’Antoine Deltour et d’Edouard Perrin. Ils risquent de lourdes condamnations, et pourtant l’ensemble de notre société leur doit beaucoup.

Ni vous, ni aucun membre de l’exécutif français ou européen n’a encore affirmé son soutien à nos courageux concitoyens. Comment rester silencieux plus longtemps ? Il est temps de se prononcer.

Le Collectif « Informer n’est pas un délit »